vendredi 7 décembre 2007

Le Chemin des Dames en images et en musiques (pour offrir à Noël)

Le Chemin des Dames et la gigantesque offensive lancée par le général Nivelle le 16 avril 1917 sont associés dans notre mémoire collective aux pages les plus sombres de la Première Guerre Mondiale. C'est à ce titre que le Chemin des Dames continue à inspirer les artistes.

Le Chemin des Dames et la Bande Dessinée

Tardi a fortement marqué nos générations par sa manière de rendre réelle la vie dans les tranchées : on peut ressentir son influence dans la manière dont Jean-Pierre Jeunet filme la guerre dans Un long dimanche de fiançailles. Tardi est en effet le premier à réaliser une bande dessinée à mi-chemin entre l'histoire et l'art avec C'était la guerre des tranchées. Cette bande dessinée raconte plusieurs histoires de soldats broyés par cette guerre.
Depuis cette bande dessinée, Tardi continue de dessiner la guerre comme dans le Der des ders ou Varlot soldat. L'an dernier, il a réalisé quelques planches pour les 90 ans de l'offensive Nivelle et a offert 3 toiles à la mairie de Craonne (voir photographies). La première toile est une scène de chaos : les troupes françaises sont bombardées et les soldats tombent de tout côté.Le personnage central apparaît comme un fantôme, sans visage, démesuré et se tenant étrangement droit (seul signe de vie ou de souffrance, les mains crispées). La seconde toile représente un soldat attaché au pilori, en train d'être fusillé : aucune trace de blessure ou de sang. Les dix balles tirées par le peloton se sont plantées dans le mur et pourtant... le trou de la bouche ressemble à un impact de balle, comme si on avait voulu faire taire l'homme. La troisième toile représente un paysage de mort : ce sont deux peuples au bord du gouffre. Et pourtant, il y a comme une lueur d'espoir (cette lumière qui se reflète dans la mare) : un soldat allemand semble s'inquiéter de l'état de santé d'un soldat français.
Tardi devrait bientôt sortir au cinéma un film d'animation s'appelant ''Le Chemin des Dames''. A suivre...

Depuis un an, les éditions du Soleil publient des adaptations de lettres de poilus en Bande Dessinée : Paroles de Poilus et Paroles de Verdun. La qualité des dessins varie selon l'auteur mais les lettres sont toutes très belles.

De nombreuses bandes dessinées, moins connues, traitent aussi de la Première Guerre Mondiale : Le Sang des Valentines par De Metter et Catel aux éditions Casterman, Le Carnet Rouge de Kristiansen aux éditions Soleil... La plus récente de ces BD est destinée aux plus jeunes : il s'agit de Zappe la guerre par Pef aux éditions Rue du Monde.


Le Chemin des Dames et la musique
Les soldats occupaient souvent leur temps libre en écrivant (lettres à la famille, journal intime...), certains s'amusent à reprendre des airs connus et changent les paroles pour raconter la vie au front. La plus connue de ces chansons est la chanson de Craonne. Le groupe Tichot, originaire de Saint-Gobain, reprend ces chansons de la guerre dans une veine très chanson française (dont on a déjà parlé dans un précédent message). D'autres chanteurs français ont été inspirés par la Première Guerre Mondiale : la chanteuse Juliette, François Hadji-Lazaro... Un jeune artiste, Boulbar, a sorti en 2005 un album disponiblement librement sur internet. Dans cet album, une chanson parle de l'expérience combattante : Le Feu.

Plus rock, le groupe de heavy metal Thorgen vient de sortir un Album nommé Le Chemin des Dames (c'est aussi le titre d'une des chansons).

Du côté corse, un groupe traditionnel, I Chjami Aghjalesi, chante le mal du pays que peut ressentir un soldat corse en 1917 dans une chanson qui s'appelle aussi Le Chemin des Dames.

En musique classique, Maurice Ravel compose un Concerto pour la main gauche pour le pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui avait perdu son bras droit lors de la guerre sur le front russe. Claude Debussy, quant à lui, crée le 5 mai 1917 une Sonate pour violon et piano en sol mineur pour reconstruire "un peu de la beauté contre laquelle on s'acharne". Enfin, Louis Vierne compose un Quintette pour piano et cordes en ut mineur à la mémoire de son fils mort en novembre 1917.

Autant de BD et de CD à commander au Père Noël...

samedi 1 décembre 2007

Tichot : les mots à vif

Jeudi soir à Tergnier, Tichot redonne de la vie, de la voix et de la musique aux mots de 14-18. Tichot, c'est un trio : Camille au piano et au tuba, Caro à l'accordéon et au xylo, François à la guitare, au banjo et au chant. Le groupe avait déjà ressuscité les chansons des tranchées et de l'arrière cet été en sillonnant le Chemin des Dames. Mais là ce qui était présenté, c'est l'aboutissement d'un travail d'un an, de recherche et de vérification de textes, de composition ou d'adaptation des mélodies, et un gros travail d'arrangement. Arrangements qui ont été revus et soignés depuis cet été. La musique est d'abord là pour servir la voix, mettre en valeur les mots. Mais elle est aussi porteuse de sens : l'accordéon est par excellence l'instrument d'une musique populaire, d'une musique de rue mais c'est un instrument que l'on a pu aussi retrouver dans les tranchées. Le tuba renvoie davantage aux harmonies et fanfares militaires, il est souvent utilisé par le groupe comme un contrepoint ironique tandis que le piano rappelle les ambiances music-hall de l'arrière.

Le répertoire est assez varié, l'image de la guerre qui en ressort est un kaléidoscope de visions personnelles variant selon que l'auteur est de l'arrière (les chanteurs de music-hall comme Vincent Scotto) ou sur le front (chansons écrites dans les tranchées) et selon la date d'écriture : les chansons du début de la guerre parlent davantage de patrie et de victoire.

  • Le spectacle est "encadré" par des poèmes d'Eugène Bizeau. Il s'agit d'un vigneron et poète anarchiste dont les oeuvres sont des dénonciations de la guerre (Le Champ d'honneur) et du discours belliciste (Avant le départ) écrites avec une plume précise et lyrique à la fois. Il n'est pas sur le front, étant réformé en 1914, mais publie ses poèmes dans des revues anarchistes pendant la guerre.

  • Tichot reprend aussi des chansons de music-hall écrites par des "professionnels de la profession" à l'arrière. On y retrouve des noms comme Vincent Scotto (Le cri du poilu), Lucien Boyer (La roulante, Au Bois Leprêtre), Théodore Botrel (Dans la tranchée), Louis Bousquet (Choisis Lison). Ce sont ces chansons qui sont les plus imprégnées par ce qui a été appelé la "culture de guerre" et dont l'exemple le plus caricatural est Botrel dont Pierre Desproges a popularisé Ma p'tite Mimi. Tichot nous fait découvrir un autre joyau de la propagande la plus imbécile avec Les Poilus de Michel Carré. Sous la plume des chansonniers, l'Allemand est un personnage récurrrent en tant qu'ennemi qu'il faut abattre comme dans Le Cri du Poilu :

    Ils n'pensent plus à rien
    Qu'à tirer sur ces sales prussiens

Autre signe d'une adhésion à la guerre, La Lettre d'un socialo est indissociable du contexte : c'est le début de la guerre et Montéhus veut légitimer le patriotisme d'un socialiste comme lui.
L'intelligence de Tichot est d'interpréter ces chansons patriotiques ou va-t'en-guerre avec ironie, avec des arrangements qui insistent sur la mélodie entraînante, d'où un contraste saisissant avec des paroles guerrières. Mais l'ironie est aussi présente dans les textes, en particulier dans des textes postérieurs à 1914. La victoire n'arrivant pas, il faut trouver un autre angle pour évoquer la guerre. Scotto, Boyer et Botrel s'attachent ainsi à tourner en dérision les conditions matérielles de ce nouveau type de conflit qu'est la guerre de tranchées. Ils se moquent gentiment du manque de femmes, de la promiscuité, de l'intérêt stratégique de la roulante. Boyer va même jusqu'à se moquer des parlementaires qui font leur petite tournée du front sans se rendre compte de la réalité de la vie des soldats (La roulante).

  • Enfin, Tichot prête sa voix aux soldats eux-mêmes. Les soldats ont très rapidement en mots et en musiques leurs impressions de la guerre. Comme l'ont noté Rémy Cazals et Frédéric Rousseau (14-18 : cri d'une génération, Privat, 2001), le combattant a un besoin de dire la guerre : nombreux sont ceux qui tiennent des carnets, écrivent à leur famille , d'autres encore participent aux journaux de tranchées ou écrivent des poèmes. Tichot réinterprète ces chansons de tranchées plus ou moins connues : La Chanson de Craonne bien entendu (dans la version transcrite par Emile Poulaille), A Hurtebise, La Ballades des tranchées... Mais le groupe s'est attaché aussi à mettre en musique des poèmes peu connus qui donnent des visions très contrastées du conflit. La prière des ruines est imprégnée de mysticisme, Fleurs de tranchées délivre un message très patriotique tandis que la Chanson de Craonne a une portée révolutionnaire. Les chansons de tranchée évoquent avec plus de précision la nouvelle forme de guerre et la vie dans les tranchées (La ballades des tranchées, Hurtebise). Si la mort et la menace de mort (les balles qui sifflent et les obus qui tombent) sont très présentes, l'Allemand apparait peu comme si cette menace était impersonnelle comme si l'ennemi était invisible. Le ton est plus grave, la dérision moins prononcée, les conditions de vie font moins rire, sauf dans la chanson Hurtebise...

On y va, doucement, en douceur
Avec un battement de coeur
Car des balles, on craint la traîtrise
A Hurtebise !
Elles passent dans l’air en ronflant
Froufroutant, doucement en sifflant
Des balles, c’est l’aubade exquise
A Hurtebise !

En définitive, ces mots chantés, mis en musique, ont redonné corps à des souffrances, des espoirs mais aussi des rires venus des tranchées. Des mots, de la musique et d'autres maux encore... Merci Tichot !

Pour aller plus loin :

  • Le site de Tichot évidemment où des extraits de chanson sont en écoute

  • L'album devrait sortir en janvier

  • Le 1er album de Tichot, Approchez, est toujours disponible. Vous y découvrirez la très belle chanson 1916 qui figurera aussi dans le prochain album. C'est une chanson sans refrain, sans rengaine, mais dont chaque couplet est écrit comme une lettre d'un soldat à sa femme. Une tranche d'une vie en première ligne découpée avec des mots ciselés et pourtant écorchés. Les journées s'écoulent lentement, la nostalgie et le désespoir grandissent à mesure que l'on s'enfonce dans cet hiver de 1916. Les couleurs comme les rêves disparaissent. Finalement, c'est la vie qui pas à pas se retire... Un beau travail d'artiste, de poète et d'interprète.

jeudi 15 novembre 2007

La Caverne du Dragon sur le Net

2007 est vraiment l'année de l'Internet pour le Chemin des Dames. Après le Portail du Chemin des Dames et le Mémorial Virtuel, voilà qu'un véritable site Internet de la Caverne du Dragon voit le jour. Il remplace la vieille page peu dynamique et interactive qui était logée sur le Portail.

Il s'agit d'un vrai site riche et dynamique où la navigation se fait sans difficulté et où les illustrations sont nombreuses. En plus d'une présentation plus exhaustive de l'espace muséographique (l'architecture du bâtiment est désormais expliquée), le site propose de nombreux services pratiques (calendrier des visites, FAQ, service de réservation...) et des rubriques ludiques (l'objet du mois, les jeux de mémoire). Il met davantage en valeur les exploitations pédagogiques de la visite. Petite cerise sur le gâteau, le site propose une visite virtuelle de la Caverne et même une exploration des parties inaccessibles lors des visites comme l'entrée du souterrain. Enfin, le site est beaucoup plus réactif : agenda mis à jour, newsletter...

A consulter d'urgence avant ou après une visite à la Caverne.

mardi 13 novembre 2007

Autour du 11 novembre

Autour de ce weekend du 11 novembre, quelques moments forts en réflexion et en émotion.

Obéir / Désobéir, les mutineries de 1917 en perspective

C'était le thème du colloque que le CRID 14-18 a organisé vendredi à Craonne et samedi à Laon. Qu'est-ce que le CRID me diriez-vous ? C'est un collectif de chercheurs (Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914/1918) basé à Craonne et qui propose une vision de la guerre différente de celle professée par les Mandarins de la Première Guerre Mondiale. Ils insistent sur l'expérience combattante, sur les différentes perceptions qu'avaient les citoyens en fonction de leur origine sociale... Plus de détail sur le site du CRID

Obéir/Désobéir, une question forcément polémique qui remet en cause la thèse officielle du consentement. Mais loin d'une opposition caricaturale entre contrainte et consentement, les journées d'étude ont mis en avant tout un éventail d'attitudes entre l'obéissance et la désobéissance (voir le résumé des contributions) : obéissance forcée, stratégies d'évitement, négociation/interprétation de l'ordre, protestation... L'état-major français est bien conscient d'avoir face à lui des soldats-citoyens, habitués au processus démocratique : il réfléchit donc très tôt aux manières de forcer l'obéissance. Dans le cadre d'une comparaison européenne, il apparaît que ceux qui désobéissent (déserteurs, mutins) sont généralement moins bien intégrés dans la communauté nationale : minorités ethniques, milieux sociaux défavorisés (ex. des paysans flamands pour l'armée belge). Dans le cadre d'une comparaison avec d'autres formes de désobéissance au XXème siècle, les mutineries semblent finalement assez peu structurées, prenant des formes variées mais souvent assez proches de la simple protestation. Les mutins condamnés sont davantage des citadins (surreprésentation des Parisiens) jeunes, issus de professions intermédiaires : des personnes a priori plus politisées. Enfin, c'est devenu un lieu commun de dire que les mutineries sont un tabou de l'histoire. Et pourtant, les mutineries n'ont cessé d'être présentes dans les manuels d'histoire et dans les romans. Seulement, elles sont souvent présentées de manière rapide ou comme un décor à l'action. Cela explique qu'elles ont été mythifiées (par les pacifistes, l'extrême-gauche) sans être vraiment appréhendées de manière précise. S'il y a tabou autour des mutineries, c'est sans nul doute dans le discours politique : elles ont surgi brutalement en 1998 avec le discours de Lionel Jospin appelant à la réintégration des mutins dans notre mémoire nationale. La polémique politique a dissimulé le véritable enjeu des mutineries et aujourd'hui encore on note un clivage gauche/droite sur cette question même si ce clivage semble en voie d'atténuation.
A l'issue de ces contributions, les débat les plus vifs portaient sur l'ampleur de la répression des mutineries et plus particulièrement sur le rôle du général Pétain et sur le meilleur terme qui puisse qualifier les mutineries (mouvement social ? grève ?). Même 90 ans après, il s'agit d'un thème qui renvoie à l'émotion...

Journée du livre de la guerre 1914-1918

Journée organisée comme chaque année à Craonne. Journée pour rencontrer les chercheurs du CRID 14-18 autour de leurs bouquins, journée pour fureter du côté des bouquinistes. Cette année, l'accent a été mis sur les ouvrages à destination de la jeunesse et en particulier sur la bande dessinée.
Le 11 novembre à Craonne n'a rien d'un cérémonial pompeux et daté. L'hommage aux morts a été rendu sans tambours ni "mort pour la France". Ce fut le moment choisi par le maire de Craonne, Noël Genteur, de rappeler ce que fut l'occupation allemande à partir de septembre 1914. Une page d'histoire souvent oubliée, mais dont la mémoire s'est transmise d'une génération à l'autre à Craonne. Mémoire qui apparaît vive au regard de l'émotion suscitée par une telle évocation. Émotion forte aussi lorsque la chanson de Craonne a été reprise par l'assistance.

jeudi 8 novembre 2007

Un poème d'Albertine Benedetto

Un poème d'une amie après un passage sur le Chemin des Dames, sur les sculptures rendant hommage aux tirailleurs :

CONSTELLATION DE LA DOULEUR (Christian Lapie, septembre 2007)


Au Chemin des Dames
Faut pas des grands mots
Des qui cliquettent
Au revers des discours
En métal mémoire mensonge
Maman
Dans la langue intraduisible
Entre les barbelés de ceux restés
Propres sous le verre des médaillons


Au Chemin de leurs Mânes
C’est des mots humbles
A ras de terre boue cris
Des mots en listes aussi
Interminables comme
Avant les grands départs
Diouf Bessé Faro
Dieng Diembelé Dabo
Kirisamba et Diakité
Guillaume l’Etoilé tous
Expulsés des boyaux de la guerre
En colonnes encore
Rangés en monuments


Chemin des Dames


Pas de mots assez nus pour
La patience des morts dans leur froid infini
Mais des bleuets
Comme on fleurit des tombes
Et ces longues faces aveugles
Taillées dans le bois calciné

3 novembre 2007
Albertine Benedetto


Ecouter le chemin des Dames

Daniel Mermet rediffuse, en ce moment, son émission sur le Chemin des Dames et les mutineries. Il s'agit en fait d'une nouvelle version issue d'un nouveau montage.
L'émission de mercredi évoque davantage Craonne avec Noël Genteur.
L'émission de jeudi traite des mutineries à travers les chansons.
Ces deux émissions peuvent être écoutées et téléchargées sur le site de Là bas si j'y suis ou sur le site de France Inter

mardi 30 octobre 2007

La chanson de Craonne d'hier à aujourd'hui

La chanson de Craonne, vous connaissez certainement si vous avez vu le film Un long dimanche de fiançailles :

Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous des condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Un rapide retour sur l'histoire de la chanson
La chanson n'est pas née d'un seul coup. Le processus de création est collectif et s'étend dans la durée. Comme souvent, la musique était une mélodie populaire de l'avant-guerre. De nouvelles paroles viennent remplacer les paroles originales pour raconter le quotidien des tranchées (la relève, l'attente en première ligne, la mort omniprésente), la rancoeur envers les embusqués et les civils (qui sont confondus avec les riches, les puissants). La chanson a évolué au fil des batailles et au fil des années (pour plus de détail, voir l'article de wikipedia ou l'article de G. Marival,"La Chanson de Craonne" in N. Offenstadt, Le Chemin des dames, de l'événement à la mémoire, Stock, Paris, 2004). Elle fut la chanson de Lorette, puis il a été question de la Champagne et de Verdun avant de devenir la chanson de Craonne. A cette occasion, le village de Craonne gagne une syllabe (Craonne se prononce habituellement krɑn, la chanson dit krɑɔn/ pour avoir le compte de pieds).

La chanson après guerre
C'est le journaliste communiste Paul Vaillant-Couturier qui diffuse le texte de la chanson après guerre. Dès lors, la chanson entre dans la patrimoine des chansons révolutionnaires. La diffusion reste donc limitée aux mouvances révolutionnaires et/ou pacifistes, l'allusion aux mutineries étant trop évidentes pour gagner le grand public.
Après la Seconde guerre mondiale, ce sont toujours des chanteurs marqués par leur engagement qui reprennent la chanson : Marc Ogeret ou Mouloudji pour les plus connus. Et si on fait un petit tour sur la toile, on remarque que les chanteurs moins connus qui ont repris la chanson font partie de la mouvance révolutionnaire (voir la chorale des sans-Nom). La chanson apparaît aussi dans les anthologies de la chanson française dans une version chantée par Gérard Pierron (CD983 chez EPM). On remarque que cette version mais d'autres aussi (pas toujours identifiées) sont disponibles en écoute sur de nombreux sites pacifistes ou révolutionnaires : le site de la ligue des droits de l'Homme de Saint Germain-en-Laye, le site Drapeau rouge (en format midi) ou bien encore le site chansons révolutionnaires de Jacques Deljéhier. La liste n'est évidemment pas exhaustive.
La chanson de Craonne est donc un élément important d'une mémoire pacifiste et révolutionnaire de la guerre. Toutes ces interprétations mettent en avant le texte plus que la musique, les arrangements restent très respectueux de la mélodie originale. Il s'agit de préserver une certaine mémoire de la guerre, de ne pas la travestir par des arrangements "modernes". Chanter cette chanson a valeur d'engagement.

Un retour de la chanson de Craonne
Depuis quelques années, la chanson de Craonne rencontre un public plus large. En 1997, dans son émission radiophonique consacrée à la chanson de Craonne, Daniel Mermet raconte qu'il a fait découvrir à Marc Perrone la chanson. Cela montre donc que la chanson n'était connue que par quelques initiés, militants pacifistes ou révolutionnaires. Finalement, c'est le retour au centre des débats des mutineries de 1917 qui permettent une redécouverte de la chanson. Le discours de Lionel Jospin à Craonne dans lequel il appelle à une "réintégration des fusillés pour l'exemple dans la mémoire collective nationale" permet sans doute de redécouvrir l'histoire des mutineries et de redécouvrir la chanson.
En effet, les reprises de la chanson dans les années 2000 sont nombreuses. Ce sont des jeunes groupes beaucoup plus rocks qui se la réapproprient : un petit groupe de ska agenais la reprend en 2000 (Mascarade), puis le groupe de rock les Amis d'ta femme en 2003 lui donne une plus grande audience.
En 2000, le téléfilm La Dette permet aussi de faire connaître la chanson au grand public : André Dussolier fredonne en effet le refrain à la fin du téléfilm.
La mémoire autour de la chanson n'est pas pour autant apaisée. En 2003, à la demande du Conseil Général de l'Aisne, Maxime Le Forestier enregistre la chanson mais il supprime le dernier refrain qu'il trouve trop violent.
Mais ce qui va donner une vraie popularité à la chanson c'est évidemment le film de Jean-Pierre Jeunet en 2004 dans lequel Denis Lavant (le soudeur Six-sous) chante une dernière fois la chanson en pissant debout entre les lignes allemandes et les lignes françaises avant d'être abattu.

Cette redécouverte de la chanson de Craonne a été facilitée par un contexte (les débat autour des fusillés) mais surtout par des médias de masse (télévision, cinéma). Ce sont de jeunes groupes venus du rock qui donnent alors une interprétation plus musclée de la chanson : le texte est désormais servi par des arrangements à la fois plus contemporains et plus variés. L'objectif n'est plus de préserver une certaine mémoire de la guerre mais de la faire revivre après des années d'oubli : de lui redonner une actualité. Dernier projet en date, celui du groupe Tichot : il s'agit de réinterpréter diverses chansons de tranchées, de mettre en musique des poèmes de poilus. Et parmi ces chansons, évidemment la chanson de Craonne dans une version accordéon, voix écorchée. A découvrir bientôt...

En me baladant sur dailymotion, je viens de repérer un montage intéressant qui mêle images d'archives et la chanson de Craonne interprétée par Marc Perrone. Le montage n'est pas innocent et a une visée pacifiste assumée. L'auteur a aussi mis en ligne plusieurs vidéos sur le Chemin des Dames (il s'agit d'un documentaire diffusé sur France 3).



Et pour finir les paroles dans leur intégralité (voir les autres versions sur le site du CRID 14-18):
Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s'en va là-haut en baissant la tête

- Refrain :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous des condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

- Refrain -

C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c'est pas la même chose
Au lieu d'se cacher tous ces embusqués
Feraient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien
Nous autres les pauv' purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendre les biens de ces messieurs là

- Refrain :
Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est bien fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s'ra vot' tour messieurs les gros
D'monter sur le plateau
Et si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

dimanche 28 octobre 2007

Vailly ville sanitaire

L'exposition
Journée d'hommage et exposition à Vailly sur Aisne, aujourd'hui 28 octobre. Rien de très nouveau, rien que du consensuel : expositions à l'église et à la salle des Coquelicots organisées par des associations avec extraits de sites spécialisées sur la Première Guerre, photocopie de photos et extraits de témoignages. Pour l'aspect scientifique, on repassera : l'exposition dans l'église avait une motivation davantage de prosélytisme que de réalité historique. Il s'agissait de témoignages édifiants sur la foi des combattants et la ferveur des soldats lors des messes mais les explications sur le vécu des combattants étaient inexistantes.
Dans la salle des Coquelicots, c'était mieux : quelques reconstitutions des hôpitaux de campagnes, les ustensiles des médecins ou des exemples de paquetage.

Mais bon, pour faire vivre la Première Guerre Mondiale, pour faire vivre le Chemin des Dames, il faut encore dépoussiérer ce genre de manifestations et réfléchir au sens de telles manifestations.

Le Monument aux morts
Le plus intéressant fut sans doute le monument aux morts au message à la fois doloriste et optimiste. Douleur de la veuve pleurant sur le corps mutilé de son homme mais aussi promesse de richesse pour les générations futures avec cette profusion de céréales, de fruits qui entourent les enfants. Finalement, le personnage féminin central fait le lien entre la douleur, les destructions (à sa droite) et l'avenir radieux fait de récoltes abondantes, d'enfants épanouis et d'un soleil levant (à sa gauche). Mais que représente ce personnage féminin ? La Nation ? Mais sans ses attributs républicains c'est étrange. Peut-être est-ce alors un symbole de la guerre qui a détruit mais pour mieux construire un bel avenir par la suite?... Figure énigmatique en tout cas.

dimanche 21 octobre 2007

Balade autour d'Hurtebise et de Vauclair

Voilà quelques commentaires et un plan d'une marche faite lors de la "Dernière Nuit" (du 15 au 16 avril 2007) et lors de la promenade des Bleuets le 1er juillet.

La situation stratégique d'Hurtebise
Hurtebise est un isthme : c'est l'endroit où le plateau se resserre (voir croquis plus haut). A ce niveau, le plateau n'a pas une profondeur supérieure à 100 mètres. Les défenses allemandes ne peuvent donc s'étendre en profondeur.
L'endroit est marqué, le 16 avril 1917, par plusieurs lieux stratégiques :
  • L'ancien monument en hommage à la bataille de Craonne de 1814 est un point de repère dans le paysage (à proximité de la Caverne du Dragon).
  • Les ruines de la ferme d'Hurtebise sont un deuxième repère. Elles peuvent apparaître comme un abri pour les troupes françaises mais les Allemands y ont implanté un nid de mitrailleuse qui contrôle ainsi le passage de la vallée de l'Aisne (au Sud) vers celle de l'Ailette (au Nord).
  • La Caverne du Dragon est alors occupée par les Allemands. Cette caverne est reliée à l'arrière par un tunnel.

Un rappel sur l'offensive

L'objectif de l'offensive est de rompre le front en concentrant un maximum d'hommes et d'armes sur un point précis du front. L'attaque doit être rapide et massive : le plateau, selon Nivelle, doit être pris en 3 heures. En fait, il ne sera repris qu'à la fin de la guerre...

L'offensive Nivelle a été précédée par une intense préparation d'artillerie censée détruire les premières lignes allemandes. Le paysage est donc complètement retourné. Le temps étant froid et très humide, les hommes marchent dans une boue très instable, les chutes sont très fréquentes.

A 6 heures, les 180000 hommes en première ligne s'élancent à l'assaut du plateau. Au bout d'une heure, les troupes ne parviennent plus à avancer. Les hommes de seconde ou de troisième ligne connaissent le même échec. L'artillerie n'a pas réussi à détruire les défenses allemandes. L'armée allemande a en effet eu le temps de complètement fortifier le plateau depuis septembre 1914. Les Français n'avancent pas sur un terrain favorable : ils sont en contrebas des Allemands.

Les troupes coloniales à Hurtebise

C'est la 10ème division d'infanterie coloniale qui est chargée de prendre Hurtebise. Cette division est commandée le général Marchand rendu célèbre par la crise de Fachoda. Parmi les hommes, on compte un grand nombre d'Africains. Nivelle est en effet décidé à utiliser la "Force noire" tant vantée par son ami Mangin afin, selon les mots de Nivelle, "d'épargner le sang blanc". Ces Africains se sont entraînés sur la Côte d'Azur. Le contraste avec le climat local est violent : il fait très froid en cet avril 1917 et nombreuses sont les victimes de pneumonie et d'engelures.

Le 15 avril au soir, ces hommes montent en première ligne dans la boue, sous le froid et la pluie, avec un sol qui se dérobe sous leurs pieds.

A 6 heure, ils surgissent du plateau mais ils sont très vite pris à partie par la mitrailleuse d'Hurtebise puis par les allemands surgissant dans leur dos, sortant de la Caverne. Les troupes coloniales perdent leurs chefs dans les premières minutes, les soldats sont vite désorientés, incapables de lire un paysage qu'ils ne comprennent pas : on leur tire dans le dos. Ils perdent le contact avec les autres divisions. Nobécourt évoque leur sort dans les Fantassins du Chemin des Dames :

Quand ils étaient arrivés au front au début d'avril, ayant passé l'hiver dans le
midi, tout reluisants dans leurs capotes neuves, le lieutenant du Montée! avait
été frappé par leur regard douloureux. Leurs chaus­sures et le sac les
blessaient, ils paraissaient dépaysés et tristes. Chaque jour, plusieurs étaient
évacués pour enflure des jambes, gelure des pieds ou des mains. Ils étaient
montés en lignes, transis et malheureux, dans les bourrasques de neige et le
vent glacial. Aptes sans doute au choc le plus violent, dociles aux chefs qu'ils
connaissaient et qui les con­naissaient, la mort de ceux-ci ,et une sorte
d'effroi s'ajoutèrent à leur misère physiologique. Rudes guerriers, voire
guerriers féroces, ils ne pouvaient combattre que par temps sec et doux2. Depuis
la veille ils n'avaient absorbé ni liquide ni aliments chauds. Les rafales du
ma­melon de Vauclerc firent le reste. On essaya de les regrouper aux
alen­tours de ce qui avait été « le monument d'Hurtebise » et de les y
remettre au combat. Mais beaucoup de ceux qui survivaient s'enfuirent vers
l'arrière. [...] Trois jours plus tard, il en traînait encore, désorientés et
lamentables, par deux ou trois, sur les routes de environs de Fismes.

Les pertes au 16 avril sont estimés à 150 officiers et 5000 soldats (dont la moitié sont des sénégalais)

La balade

Partir d'Hurtebise : de nouveaux repères dans le paysages indiquent les anciens lieux stratégiques. L'architecture du musée marque la présence de la caverne du Dragon. Le monument des Marie-Louise évoque l'ancien monument, une nouvelle ferme a été reconstruite à l'emplacement de l'ancienne. Remarquer la plaque qui évoque le Chemin des Dames pendant la Seconde Guerre mondiale.

Suivre la route qui plonge dans la forêt de Vauclair. Au bout de quelques mètres, quitter la route pour descendre la pente. Attention, la pente est raide et quand le terrain est boueux, la chute est vite arrivée.

Continuer le sentier. Remarquer qu'à mesure qu'on s'éloigne du plateau les traces de bombardement sont plus fréquentes.

Tourner à gauche pour regagner la route. Suivre la route pendant quelques mètres puis prendre à droit le sentier balisé.

Après avoir de nouveau tourné à gauche, remarquer les traces laissées par les anciennes batteries allemandes.

  • L'utilisation massive de l'artillerie marque une modernisation de l'art de faire la guerre mais surtout marque un degré supplémentaire dans les violences faites au corps et au psychisme du soldat. L'artillerie prend en effet une ampleur considérable : on passe de 300 pièces d'artillerie lourd en 1914 à 5200 en 1918. Les progrès techniques sont rapides : canons tirant plus rapidement (ex. 75), avec des projectiles plus dévastateurs (shrapnels), voire obus chargés de gaz. Le nombre d'obus tombés sur le secteur du chemin des Dames est estimé entre 30 et 50 millions !

En continuant le sentier, on remont à l'assaut du plateau. Sur le plateau les vestiges de la guerre sont plus nombreux encore : vestiges de boyaux, de tranchées... Le plateau prend à cet endroit le nom de plateau de Vauclair.

  • Ici, c'est la 162ème division d'infanterie (elle comprend le 127ème, le 327ème et le 43ème régiment d'infanterie) qui est chargée de nettoyer le plateau. Cette division est originaire du Nord. Emile Carlier, téléphoniste au 127ème RI fait le constat suivant entre le 17 et e 20 avril :
Notre offensive paraît avoir complètement échouée. Toutes les tentatives tentées
pour la reprendre avec efficacité restent sans résultats. Somme toute, et il
faut le reconnaître, on n'a pas percé. Pour gagner quelques centaines de mètres
de terrain et ramasser un butin insignifiant en matériel et en prisonniers, nos
trois régiments ont subi d'effroyables pertes et que dire des souffrances et des
fatigues surhumaines imposées aux combattants ! « C'est pire que dans la
Somme ! » me disent ceux de mes camarades qui viennent des premières
lignes, et dont la vue nous arrache des larmes. Ils sont couverts de boue des
pieds jusqu'à la tête, hâves, hirsutes, la capote déchirée par les fils de fer
barbelés, mourant de faim et dévorés par la soif, ayant à peine le force de se
traîner.

Les pertes au soir du 16 avril s'élèvent à 37 officiers et 1538 soldats.

Pour le retour suivre la route jusqu'à Hurtebise. On peut alors méditer la phrase de Dorgelès :

« Cinquante mois on se l’est disputé, on s’y est égorgé et le monde anxieux
attendait de savoir si le petit sentier était enfin franchi. Ce n’était que
cela, ce chemin légendaire : on le passe d'une enjambée… Si l’on y creusait, de
la Malmaison à Craonne, une fosse commune, il la faudrait deux fois plus large
pour contenir tous les morts qu'il a coûtés. Ils sont là, trois cents mille,
Allemands et Français, leurs bataillons mêlés dans une suprême étreinte qu’on ne
dénouera plus, trois cent mille sur qui des mamans s’étaient penchés quand ils
étaient petits, trois cent mille dont de jeunes mains caressèrent le visage.
Trois cent mille morts, cela fait combien de larmes ? »



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mardi 16 octobre 2007

Découvrir le Chemin des Dames...


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Les lieux de mémoire des unités combattantes

Très vite après la fin de la guerre, le Chemin des Dames a accueilli des monuments rendant hommage à un corps de l'armée, à une division. Ce sont les "anciens" et les familles qui se sont cotisés pour élever de tels monuments :
  • Le Monument des Crapouillots

Ce monument datant de 1933, visible de la RN2, rend hommage au corps de l'artillerie de tranchée.

L'évocation est double : le monument prend la forme d'une torpille avec les ailettes caractéristiques de ce type d'artillerie et le bas-relief en son sommet montre un artilleur en train de tirer une telle torpille.
Le monument est atteint en juin 1940 par les bombardements allemands : il est alors reconstruit après le conflit et de nouveau inauguré en 1958.
Il a été encore récemment endommagé par la foudre : l'arrière s'est effondré.

  • Le Monument des Basques

Le monument a été construit en 1928 grâce à une souscription dans les départements du Sud-Ouest. Il domine la vallée de l'Aisne, du haut de sa position stratégique sur le saillant séparant Oulches de Craonnelle.
Il s'agit sans doute du monument commémoratif le plus atypique.
Contrairement aux règles du genre, aucune heroïsation des combattants. Le sculpteur, Claude Grange, a en effet décidé de représenter le Basque en costume traditionnel et non en tant que combattant.

La 36e division dont il est ainsi rendu hommage, s'est en effet illustrée sur cette partie du Chemin des Dames.
Ce sont les hommes de cette division qui ont été lancés le 4 mai 1917 pour reprendre Craonne puis le 5, qui ont reconquis une partie du plateau de Californie.
Ce sont aussi des hommes de cette division que l'on veut faire remonter en première ligne fin mai : en réaction, plusieurs d'entre eux décident de désobéir. C'est ce que l'on appelle une mutinerie, il s'agit en fait d'une forme de grève des tranchées.
5 soldats seront condamnés à mort, un sera gracié et un autre, Vincent Moulia, parviendra à s'échapper.

Les lieux de mémoire collective

Ces lieux rendant hommage à l'ensemble des combattants lors des batailles du Chemin des Dames, n'apparaissent qu'après la Seconde guerre mondiale. Au regard de ce nouveau conflit, il apparaît urgent pour les anciens combattants de sortir la Première guerre mondiale de l'oubli, de rappeler les conditions dans lesquelles étaient lancées des offensives comme l'offensive Nivelle.

  • Le mémorial du Chemin des Dames à Cerny-en-Laonnois

C'est au niveau de l'ancienne sucrerie de Cerny, théâtre de nombreux combats, qu'a été érigé le mémorial, à l'intersection entre la RD 18 CD et la D967. Cet ensemble comprenant une petite chapelle en pierre de facture très classique et une Lanterne des morts à l'architecture plus moderne (structure en béton, néons apparents) a été construit à l'initiative de l'abbé Herlem et avec le soutien de l'association d'anciens combattants UNC, entre 1948 et la fin des années 1960 (pour la Lanterne). Il s'agit donc d'une initiative privée mêlant recueillement religieux (la chapelle) et hommage symbolique (Lanterne des morts).

La chapelle accueille de nombreuses plaques commémoratives données par les anciens de différentes unités combattantes. A noter la plaque dévoilée en 1983 par Léopold Sédar Senghor et dédiée aux Sénégalais. Dans cette chapelle, la souffrance du combattant est assimilée à celle du Christ dans une toile surplombant l'autel.

  • Le monument des "Marie-Louise"

Cette sculpture est située à l'endroit le plus stratégique du plateau : au niveau de l'isthme d'Hurtebise, c'est-à-dire là où le plateau est le plus étroit et donc où la distance entre les vallées de l'Aisne et de l'Ailette est la plus courte. Maxime Real del Sarte réalisa cette oeuvre en 1927 pour remplacer un monument plus ancien célébrant la bataille de Craonne de 1814. Il s'agit d'une des dernières victoires de Napoléon Ier : il parvient à mettre en déroute les armées coalisées (russes et prusses) mais au prix d'un bilan meurtrier. On compte 5400 morts ou blessés du côté français. Les soldats n'ont pour la plupart que peu d'expérience du front : ce sont des jeunes recrues, les Marie-Louise.

Le monument de Real del Sarte reprend l'hommage aux Marie-Louise mais il rajoute un hommage au poilu. Dans un mouvement symétrique, les deux soldats portent le drapeau et la couronne de lauriers. On est donc en plein dans l'exaltation patriotique. Le combat des poilus est assimilé à celui des Marie-Louise, la continuité est soulignée par les deux dates 1814-1914 et la symétrie est renforcée par le V formé par les armes.

  • Sculpture "Ils n'ont pas choisi leur sépulture"

Cette oeuvre de Haïm Kern domine la route, sur le plateau de Californie. Le point de vue sur la vallée est ici superbe. Le plateau de Californie tenu par les Allemands le 16 avril 1917 fut particulièrement disputé et bombardé. Il est classé en zone rouge à la fin de la guerre : interdiction est faite d'y reconstruire, d'y habiter et de cultiver. Aujourd'hui encore le plateau appartient à l'Etat et est géré par l'ONF.

La sculpture est une commande de l'Etat à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de l'armistice. Haïm Kern a emprisonné des têtes d'hommes, toutes semblables, dans un puissant grillage faisant écho aux branches des conifères alentour. Les reflets cuivrés évoquent les tenues bleues horizon tandis que les mailles font penser à un écheveau de barbelés. Haïm Kern a ainsi voulu montrer que ce sont les hommes qui se retrouvent victimes de l'Histoire.

L'inauguration de cette oeuvre en 1998 fit grand bruit : c'est à cette occasion que Lionel Jospin, premier ministre, demanda à ce que les mutins "réintègrent" la mémoire nationale. Depuis, l'oeuvre est confondue avec les propos du premier ministre et a été vandalisée par des extrémistes.

  • La Constellation de la Douleur

Ensemble de 9 statues géantes en bois inaugurées le 22 septembre 2007 près de la Caverne du Dragon. Les détails sur cette oeuvre sont ici.

La Caverne du Dragon

La Caverne est un lieu particulier du Chemin des Dames. Il s'agit d'une creute, c'est-à-dire une carrière creusée dans le flanc du plateau, située en rebord du plateau. Cette creute a joué un rôle particulier lors de la Première Guerre Mondiale du fait de sa position stratégique : la creute s'ouvre largement sur la vallée de l'Aisne et elle se situe à proximité de l'isthme d'Hurtebise.


Suite à la bataille de la Marne, les Allemands se sont repliés sur le plateau du Chemin des Dames qui domine au Sud la vallée de l'Aisne. Les offensives françaises et anglaises du 13 au 15 septembre 1914 pour les déloger du plateau furent un échec : les Allemands contrôlent le plateau. C'est pour conforter leur position que les Allemands attaquent et s'emparent de la Caverne du Dragon (que l'on appelait alors la Caverne de la Creute) le 25 janvier 1915. Désormais ils surplombent les lignes françaises. Seul inconvénient : la Caverne peut devenir une souricière en cas d'offensive française. L'armée allemande entreprend alors de relier cette Caverne aux lignes plus en arrières en creusant un tunnel qui traverse le plateau. La Caverne est alors plus qu'un abri, elle devient une position forte. Les munitions, les renforts et la nourriture arrivent désormais sans encombres en première ligne. La Caverne est aménagée pour en faire un lieu de vie : on tire des fils électriques et téléphoniques, on y fait venir l'eau, on aménage une chapelle, des cuisines... Le nom de Caverne du Dragon viendrait peut-être des nids de mitrailleuses installées à l'entrée de la Caverne : ces mitrailleuses évoqueraient les naseaux enflammés du Dragon.

La Caverne est reprise un peu par hasard à la suite des offensives de 1917. Les Français contrôlent en juin 1917 une partie de l'isthme d'Hurtebise. Une offensive est préparée pour conforter les positions françaises. C'est à l'occasion de cette attaque menée par la 164ème division d'infanterie que les Français découvrent le tunnel qui conduit à la Caverne et prennent au piège les Allemands.

La prise de la Caverne du Dragon est fêtée comme une grande victoire nationale. Le nom évocateur de la Caverne du Dragon est alors popularisé par les communiqués militaires au même titre que Craonne.

C'est donc tout naturel qu'après-guerre la Caverne attire un "tourisme des tranchées". Elle devient un musée en 1969 sous l'impulsion de l'association, liée à l'UNC, Le Souvenir français. Enfin, en 1995, le Conseil général de l'Aisne devient propriétaire des lieux et passe commande à l'architecte iranienne Nasrine Seraji d'un pavillon d'accueil.

L'objectif est de faire de la caverne du Dragon un espace muséographique alliant scénographie contemporaine, lieu de mémoire et espace pédagogique. Le pavillon d'accueil est caractérisé par un toit flottant s'intégrant dans l'horizontalité du paysage. Cette légèreté du bâtiment est renforcée par la structure sur pilotis et la passerelle de caillebotis qui permet d'atteindre l'entrée. Les matériaux utilisés renvoient directement à la guerre : le béton armé côté route évoque les bunkers tandis que le caillebotis rappelle les planches qui couvraient le fond des tranchées. Du côté de la vallée de l'Aisne, c'est le verre qui domine pour mettre en avant le point de vue superbe qu'avaient les occupants de la Caverne.

La visite de la Caverne (à faire absolument) est guidée : il convient donc de réserver.

Les ruines de la guerre

Le paysage est encore considérablement marqué par la guerre : le relief sur le plateau de Californie est encore vérolé par les trous d'obus, entaillé par des vestiges de tranchées. Plus impressionnants encore sont les sites détruits par la guerre.

  • L'ancien village de Craonne

Ce village rendu célèbre par les communiqués militaires et par la chanson éponyme, était le chef-lieu du canton avant guerre. Dès le début de la guerre, le village est occupé par les Allemands et les habitants sont déplacés plus au Nord. Craonne se trouve entre les lignes allemandes et les lignes françaises et devient un enjeu crucial pour la maîtrise du plateau de Californie.

Craonne est attaquée le 16 avril 1917 par la 1ère division d'infanterie (qui comprend le 1er RI, le 233ème RI et le 201ème RI) qui se trouve bloquée au pied du village. Emile Carlier, soldat au 127ème régiment, témoigne :

Le 201è est relevé après être resté quelques heures seulement en ligne.
L'emplacement occupé par ce régiment est marqué au loin par la grande tâche
bleu horizon de centaines de cadavres amoncelés au même endroit.

C'est lors d'une deuxième offensive, le 4 mai, que le village est repris par
la 36ème division d'infanterie au prix de lourdes pertes.

Le village ne ressemble plus alors à grand-chose. Il a particulièrement souffert de la préparation d'artillerie précédant le début de l'offensive Nivelle : en avril-mai 1917, les caves des maisons émergent des gravats et constituent des abris précaires pour les combattants.

Aujourd'hui encore, les seuls vestiges du village sont ces entrées de cave et les fondations de l'église. Le site a été replanté pour en faire un arboretum mais les arbres ont souffert des orages du printemps 2007. Un nouveau projet d'aménagement devrait être réalisé.

  • Les ruines de l'Abbaye de Vauclair

Paysage le plus romantique du secteur : de beaux restes d'une grande abbaye cistercienne du XIIème siècle s'étalent sur une pelouse verte au coeur de la forêt de Vauclair, en contrebas du plateau du Chemin des Dames en direction de l'Ailette. Derrière l'abbaye, le jardin des moines et à côté, un verger planté de poiriers et de pommiers. Nombreux sentiers de balades dans les alentours.

L'abbaye a été grandement endommagée par les bombardements de 1917 : 5 millions d'obus sont en effet tombés sur le secteur du Chemin des Dames entre le 6 et le 16 avril 1917.

Les cimetières militaires

Il faut rentrer dans les cimetières militaires parce qu'il y règne une atmosphère particulière : l'alignement des stèles dit l'égalité face à la mort, l'espace occupé par les morts rappelle le nombre des pertes, le silence y est porteur de sens et enfin la diversité des tombes évoque l'apport des troupes coloniales, russes, belges...

Pour plus d'informations sur les cimetières et les tombes, il faut aller visiter le Mémorial virtuel du Chemin des Dames.

  • Le cimetière de Cerny-en-Laonnois

Face au mémorial, il s'agit d'un cimetière double : au bout du cimetière français, un passage permet d'accéder au cimetière allemand. A noter les tombes musulmanes et russes dans le cimetière français, les tombes juives dans le cimetière allemand.

  • Le cimetière de Craonnelle

Ce cimetière offre un point de vue sur la vallée de l'Aisne. Les croix semblent gravir les pentes comme les vignes sur les terrains alentours. A noter un certain nombre de tombes britanniques. En effet, les Britanniques préféraient enterrer leurs hommes à proximité de l'endroit où ils sont tombés, d'où un éparpillement des tombes britanniques plutôt que de gros cimetières.

  • Les cimetières de Soupir

Le plus vaste ensemble de cimetières du Chemin des Dames. On y trouve des sépultures de toutes les nationalités : belges, italiennes, habitants du Commonwealth et bien sûr françaises, britanniques et allemandes.

vendredi 12 octobre 2007

Hommage aux tirailleurs sénégalais

Le 22 septembre dernier, le Chemin des Dames s'est enrichi d'un nouveau monument commémoratif : le monument en hommage aux Tirailleurs sénégalais conçu par Christian Lapie et intitulé : la Constellation de la douleur.

Le contexte
Cette commande du Conseil Général s'ajoute aux dernières oeuvres contemporaines qui marquent le regain d'intérêt pour ce moment de l'histoire : sculpture de Haïm Kern ("Ils n'ont pas choisi leur sépulture") sur le plateau de Californie et trois toiles de Tardi en mairie de Craonne.

Mais cette oeuvre est la première concernant les troupes coloniales, cette "force noire" pour reprendre les termes du général Mangin, qui sont venues combattre dans le froid pour le compte de la puissance coloniale. Ces troupes ont été durement éprouvées lors de l'offensive : la 10e division d'infanterie coloniale sous les ordres du général Marchand est chargée d'attaquer en première ligne sur le point le plus stratégique du Chemin : à Hurtebise. Les bataillons de première ligne perdent les trois quarts de leurs effectifs (voir à ce propos l'exposition présentée dans la Caverne du dragon).

L'oeuvre
Le dispositif comprend 9 sculptures élancées mais imposantes éparpillées sur le flanc du plateau à proximité de la route, aux abords de la Caverne du Dragon. On dirait des sentinelles qui gardent les premières lignes françaises à moins qu'elles ne soient dans l'attente de l'assaut. L'une de ces sentinelles est à demi enterrée dans un semblant de tranchée. Les sculptures ont été travaillées dans du bois calciné : ces masses semblent issues du charbon. Les silhouettes sont justes suggérées, pas de visage : ces 9 tirailleurs ne peuvent être identifiés, ce sont 9 figures universelles du tirailleur.

L'ensemble tranche sur l'horizontalité du plateau comme 9 brûlures encore bien présentes, mais pourtant muettes. Par leur dimension aussi bien que par leur aspect universel, ces sculptures apparaissent aussi insaisissables. Le secret de leur souffrance reste entier.

La cérémonie
La cérémonie mélangeait protocole et mise en scène. Elle a débuté par la présentation des armes au son des hymnes. Elle s'est poursuivie par les discours officiels : le discours du président du Conseil général tranchait avec celui du préfet. M. Daudigny, président du Conseil général, a rappelé le sacrifice des tirailleurs et l'ingratitude de l'Etat français en citant les mots de Nivelle : "Il faut y aller avec tous les moyens et ne pas ménager le sang noir pour conserver un peu de blanc".

M. Fratacci, préfet de l'Aisne, a soigneusement évité d'aborder le sujet de la mémoire de la colonisation et a insisté sur l'amitié avec le Sénégal en prenant l'exemple des accords pour limiter l'immigration.
La mémoire de la guerre et de la colonisation est encore loin d'être apaisée...
La cérémonie prit un tour plus émouvant avec la lecture d'un poème de Léopold Sédar Senghor sur ces tirailleurs (poème Hosties noires). A la voix du comédien Didier Perrier s'est mêlée celle du saxophone de Manu Dibango avant que le public ne puisse déambuler entre les oeuvres :

"Ecoutez-moi, Tirailleurs Sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux, sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée, jadis dans les palabres du village
Ecoutez-moi, tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit."

Léopold Sédar Senghor, Hosties Noires, 1938


Pour en savoir plus :

    • Le dossier de presse du Conseil général très complet d'un point de vue historique.

    • L'article de l'Union.

    • Se méfier de l'article de la LDH de Toulon. Il semble que l'auteur soit mal informé (le maire de Craonne était évidemment prévenu longtemps à l'avance de cette inauguration puisqu'il est aussi conseiller général et qu'à ce titre, il a participé à l'organisation de la cérémonie).